Un Plan à trois générations
Vous le savez, je ne suis pas un fan des films indépendants japonais financés, de surcroit, par le cinéma français. Et dieux sait qu'il en existe. Me rendant de plus en plus méfiant à leurs égards, véhiculant des clichés qui permettent aux petits occidentaux de se sentir tellement bien d'être occidentaux : "Les Japonais travaillent trop, n'ont pas de cellule familiale, ne savent pas exprimer leurs sentiments, ils sont écrasés par le poids des traditions, etc". Mais d'un autre côté, l'industrie du cinéma japonais étant ce qu'il est, des milliards de yens sont déboursés pour créer des animés et autres adaptations en live-action de mangas à succès. Si bien qu'il 'y a pas de place pour les œuvres plus intimistes et surtout bien plus critiques sur la société japonaise, dans ce pays. Remercions donc Cannes et les autres festivals qui aident les petits réalisateurs nippons à briller à l'étranger, eux qui sont si ignorés dans leur pays. C'est peut-être de l'autosatisfaction du "milieu" qui produit des œuvres pour se les récompenser elle-même en créant parfois une catégorie rien que pour cela, mais la démarche peut se comprendre. C'est comme cela que l'on peut interpréter la "mention spéciale de la caméra d'or" attribuée à Plan 75 à Canne en 2022. Mais s'arrêter à cette étiquette, que l'on veuille ou non marketing, serait faire insulte à une presque première œuvre intimiste, certes un peu maladroite, mais tellement questionnante sur notre humanité.Le thème n'est pas nouveau, c'est le regard porté dessus qui peut être original. Une terre, ou plutôt un pays ici, surpeuplé par à une population vieillissante jugée peu productive, et une vraie charge pour le reste de la société, trouve la solution dans l'euthanasie d'état. Laisser le choix du jour de sa mort à toute personne de plus de 75 ans, peut faire froid dans le dos et soulève des questions morales sans fin. Mais c'est bien le but de ce 3e film de la peu connue Chie Hayakawa. N'étant pas une jeune débutante, elle s'est, soit donné le temps de le réaliser, soit elle a bien été confronté aux contraintes citées dans mon intro. Dans ce cas, on ne peut que saluer l'audace des producteurs français. Car ce film est une réalisation Franco-Japonaise. Mais ne cherchez pas un éventuel semblant de France à l'intérieur. C'est bien la société japonaise qui est mise au pied du mur ici.
La place, bien sûr, de nos ainés dans la société, est le thème principal de ce film d'anticipation. Renforcé par le fait que malgré l'age de la retraite bien passé, une extrême pauvreté, qui se ressent dans d'autre branche de la société, est mise en avant ici. On suit le quotidien des seniors d'aujourd'hui. Une vie simple dans une pièce-appartement d'une mégalopole japonaise lambda, le fait que les amis partent les uns après les autres, que l'on se retrouve seul, oublié par sa famille, à compter les jours en attendant… la mort. Pourtant, le Japon permet de travailler justement jusqu'à plus d'âge et c'est aussi ce que l'on peut constater dans ce film. Même si les employeurs rechignent, de plus en plus, vu les problèmes que cela peut causer, les septuagénaires, eux, restent souvent accrochés à ce qui constitue parfois le dernier lien social et une fierté de se sentir utile. D'être considéré comme un être humain, tout simplement. Le monde du travail et ses travers, au Japon, est donc lui aussi clairement mis en avant. Montrant comment une certaine partie de la population est broyée et pour ne pas dire exploitée par le système. On verra, entre autre, la vie d'une immigrée philippine ou celle de jeunes diplômes qui devront faire les basses besognes dont la classe moyenne japonaise ne veut pas. Les 30 - 60 ans sont d'ailleurs étrangement absents de ce film, comme s'ils vivaient dans une tour d'ivoire pour laquelle nos protagonistes ne seraient que des éboueurs chargés de les débarrasser de déchets encombrants. Travailleur dans un Ehpad, dans une morgue, dans un Call Center ou vendeur d'assurance "mort". Des métiers méprisés qui sont joués par d'excellents acteurs, à la hauteur du rôle principal, tenue par Baisho Chieko, agé de 80 ans pour ce film.
Actrice ultra-connue pour son rôle pendant des dizaines d'années dans les films Tora-san, elle touche au cœur de tous dans ce film. Ce questionnant sur sa fin, le fait de partir dignement et nous remettant sans cesse en question notre avis sur l'euthanasie. La réalisatrice a su filmer son héroïne comme il se doit. Tout en retenue, plan fixe sur ses rides et ses larmes avec une sensibilité qui fait mouche. Évidement, Chie Hayakawa tombe un peu dans les clichés photographiques et de mise en scène du cinéma d'auteur (Français ?). Longues séquences de caméra fixe sur pièce vide, gros plans sur visages, flou artistique. Mais quelques tentatives de surprendre casse ce rythme contemplatif, même si on a du mal parfois à voir où notre réalisatrice veut en venir. Hésitant entre les émotions vraiment à fleur de peau avec ses larmes, ses dialogues couperets et ses longs silences. Tout comme dans les premières ou les dernières minutes, avec du choquant ou de l'humour noir, voir second degré. Comme si elle avait voulu tout essayer pour son véritable premier film. C'est bien dommage qu'on ne l'ait pas poussé plus loin dans ce sens. J'aurais tellement voulu que les premières minutes, comme les dernières, soient l'architecture du film. Cela aurait donné bien plus de corps à l'œuvre. La rendant plus abordable, ouvert à un plus large publique, notamment plus jeune et dédramatisant le propos. Ainsi, il aurait rendu bien plus de services à une société qui prône la marchandisation de l'être humain jusque dans sa mort. Ce thème qui aujourd'hui devrait fédérer les générations et les peuples. D'hommage que la jeune génération dans le film aussi n'ait pas plus de corps, durant ces pourtant deux heures. Le message sur les migrants qui existent bien au Japon et les liens entre les générations est un peu gâché par le manque de profondeurs de ses personnages. Et pourtant, le Japon a besoin de regarder cette population dans les yeux. Mais encore une fois, le message ne semble pas s'adresser au japonais qui bouderont certainement le film pour toutes les raisons déjà citées.
La musique composée par un Français est envoutante, sans être omniprésente ou marquante. Les premières minutes restent mystérieuses, avec cette sonate de Mozart en toile de fond et prend à contre-pied le reste du film. Ce qui en décevra plus d'un, comme moi, un peu. Un hommage peut être à Orange Mécanique, mais un peu hors sujet. Car ce film est d'une sensibilité et d'un propos qui ne peut qu'interpeler. Les longueurs, lenteurs et non dits agaceront ou ennuieront certains, mais raviront ceux qui font l'éloge de celle-ci. On est proche du Cinéma de Kawase Naomi (tiens donc, Cannes sort de ce corps). Nul doute que si vous avez aimé True Mother, vous aimerez ce film. Moi, j'ai aimé.
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